Metz, le 6 avril 2020.
Michel Parisse, professeur émérite d’Histoire médiévale à Paris I-Sorbonne, après l’avoir été à Nancy, qui patronnait, malgré son absence, notre récent colloque de 2017, dont Patrick Corbet était le président, vient de disparaître à l’âge de 83 ans.
Depuis plusieurs années, il lui était devenu difficile de communiquer, du fait de la maladie. Les moments d’échanges avec lui devenaient de plus en plus rares, douloureux, et donc d’autant plus précieux.
Dans le dernier ouvrage qui soit paru sous son nom, où sont reprises certaines de ses études parues durant les trente années précédentes, « Religieux et religieuses en Empire du Xe au XIIe siècle » (Paris, Picard, coll. Les médiévistes français, 2011), Morimond n’a pas été oubliée. Son exposé sur « Morimond de l’Ebre à l’Elbe » (Cahiers Haut-Marnais n° 196-199, 1994), prononcé à Chaumont au colloque de 1992 (Morimond et son Empire), portait sur la fondation de l’abbaye et la formation de sa branche en Europe continentale. Il terminait à ce moment-là sa période de direction de la Mission historique française en Allemagne, à Göttingen, et avait été frappé par l’importance que revêtait en Allemagne la branche cistercienne de Morimond.
Mais l’intérêt qu’il manifestait pour notre abbaye ne partait pas de là. Bien avant, quand il était enseignant à l’Université de Nancy et qu’il dirigeait à l’ARTeM (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, désormais Centre de Médiévistique, Université de Lorraine), il s’était efforcé de rassembler les actes des évêques et des seigneurs lorrains, (à commencer par les ducs de Lorraine et les comtes de Bar), et avait poussé ses étudiants à travailler sur ces thèmes. Il avait bien vu, par exemple, que Morimond présentait un très grand intérêt pour la Lorraine, à la frontière de laquelle l’abbaye était installée, en particulier pour son histoire propre et pour son fonds d’archives. Il avait bien exploré ce fonds, et en avait remarqué la présence considérable d’actes d’évêques lorrains et le grand intérêt qu’ils présentaient, en particulier les évêques de Toul Henri de Lorraine (1126-1165) et Pierre de Brixey (1165-1191). C’est lui qui m’a entraîné dans son sillage, en me confiant la charge de réaliser un mémoire de maîtrise sur les seigneurs de Clefmont, pour lequel je me suis plongé avec délices dans les archives de Morimond, mais aussi de La Crête et de Septfontaines, ainsi que dans celles d’autres établissements ecclésiastiques. Plus tard, il m‘encouragea à poursuivre et à achever l’édition des chartes de Morimond pour le XIIe siècle. En parallèle, il me donna à rassembler, à réorganiser et à compléter ses notes de prospection des actes de l’évêque de Toul Pierre de Brixey, dossier qui est désormais bouclé, mais non publié. C’est dire les liens personnels qui me lient à lui.
En 2000, au colloque du CERCOR, (publié sous le nom Unanimité et diversité cisterciennes, St-Etienne, 2000), il proposa une étude sur « la formation de la branche de Morimond », où il développait, à partir de la description de la filiation de Morimond, une réflexion sur « les conditions de la fondation de Morimond et de sa branche », examinant successivement la date de la création d’une branche de Morimond, puis la date et les conditions de la fondation de Morimond, démontrant dès ce moment ce qu’il reprendra quelques années plus tard.
A l’occasion du colloque organisé par Georges Viard en 2003 (L’abbaye cistercienne de Morimond, histoire et rayonnement, actes du colloque parus à Langres en 2005), il reprit, sous un titre relativement neutre (« Morimond au XIIe siècle »), cette idée audacieuse qui s’imposa : l’abbaye de Morimond n’avait pas été fondée en 1115, et donc n’était pas une sœur jumelle de Clairvaux (1115), mais n’avait pu voir le jour qu’en 1117 ou 1118. D’autre part, il soulignait que Morimond n’était devenue la cinquième et dernière des abbayes majeures de l’ordre cistercien, et l’abbé de Morimond le cinquième du groupe des abbés dirigeants de l’ordre, qu’entre 1155 et 1161, au temps de l’abbé Lambert de Clairfontaine, devenu abbé de Morimond durant quelques mois en 1155, puis abbé de Cîteaux entre 1156 et 1161, retiré à Morimond et mort peu après 1172. Ainsi, la tête de l’ordre cistercien n’avait pas été, comme on le pensait alors, organisée en un groupe de cinq abbés dès les années 1110, mais seulement dans les années 1150, avec l’arrivée de Morimond au rang et titre de quatrième fille de Cîteaux. Cette démonstration remettait en cause la chronologie traditionnelle et ouvrait des perspectives nouvelles sur le siècle d’origine de l’ordre cistercien et la place que Morimond y jouait. Elle fut admise par tous, d’abord en France, rapidement, puis progressivement ailleurs en Europe.
Michel Parisse était très attentif aux activités de l’Association des Amis de l’Abbaye de Morimond, dirigée par Georges Viard, qui avait été son collègue à l’Université de Nancy II. Dans les années 1990, il était venu en Bassigny, et ensemble, nous avions parcouru la route des granges de l’abbaye, de Dôme à Vaudainvilliers en passant par Grandrupt et Levécourt, pour terminer sur le site abbatial. Il voulait voir concrètement ce qu’il était en train d’étudier. Ce fut une balade sans prétention, mais extrêmement instructive.
En 2009, Thérèse et moi, nous l’avions invité au repas champêtre de Grignoncourt, auquel il avait participé de manière très active. Il était chez lui à Morimond, qu’il connaissait particulièrement bien, et dont il se réjouissait des campagnes de fouilles et de découvertes de l’équipe de Benoit Rouzeau. Son intérêt pour les activités de l’association ne s’est jamais démenti, et il n’avait aucune difficulté à se repérer dans un paysage haut-meusien dans lequel il n’était pas dépaysé. Son image marquera toujours, quelque part, sa présence à Morimond.
Merci pour tout, Michel, et adieu.
Hubert Flammarion
Bravo et chapeau (bas) Benoit pour l’actualité du site et pour avoir publié ce bel éloge de Michel Parisse par notre ami Hubert Flammarion, lui aussi éminent historien. Philippe M.
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